Jean Morozov
Jean Morozov fut pendant près de 30 ans un pilier de l’ACER mais aussi de l’orthodoxie en France. Il fut secrétaire général de l’ACER, directeur des éditions YMCA-PRESS et de la librairie des Éditeurs Réunis, rédacteur de la revue Vestnik ВЕСTНИК РСXД (Messager de l’ACER), enseignant à l’Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge et membre du conseil diocésain.
Jean Morozov (Ivan Vassiliévitch) est né le 14 août 1919 à Davydov Konets dans une famille de paysans pauvres. Davydov Konets était un petit hameau situé dans la partie russe de l’Estonie, à 30 km de la ville de Petchory. Dès son plus jeune âge, Ivan Vassiliévitch voulait échapper à la condition paysanne et montra de grandes capacités pour les études. Ainsi Jean (Vania) au prix d’importants efforts familiaux pu partir étudier au collège de Petchory.
Là, en tant que représentant, il pu se plonger immédiatement dans l’activité bouillonnante de l’ACER des régions Baltes, fondée à l’initiative de Jean Lagovsky. Ce mouvement menait une lutte idéologique intellectuelle contre le bolchevisme, le nationalisme et toute forme d’idéologie qui fait de l’homme le prisonnier d’idées partisanes. Le but de l’ACER était « de faire croitre la libre et haute soumission au Christ qui se transforme en filiation ». Jean savait qu’il existait à Paris un Institut de théologie et son rêve était de partir y étudier afin de revenir ensuite dans sa patrie et d’y servir en tant que prêtre.
C’est ainsi qu’en 1938, il arriva à Paris et intégra l’Institut de théologie Saint Serge. Le protopresbytre Alexis Kniazeff se souvenant de Jean durant ses études à l’Institut Saint Serge disait de lui : « Vania impressionnait les autres étudiants ainsi que les professeurs par son esprit de réflexion, son amour passionné pour la pensée religieuse russe, et sa passion pour tout ce qui pouvait l’aider à résoudre les questions théologiques et philosophiques les plus profondes qui le préoccupaient ».
À l’automne 1942, pendant la guerre, en pleine occupation allemande de Paris, Jean vivait à l’Institut et tout en travaillant pour subsister, il termina une thèse en théologie dont le sujet était « La liberté de la créature » et qu’il présenta au père Serge Boulgakov. Jean fut reçu au titre de « candidat » ès théologie et fut diplômé de premier rang.
La crise politique internationale de l’époque l’empêcha de retourner auprès des siens dans les pays baltes et c’est contraint, qu’il resta en France en tant qu’apatride. En mai 1966, il reçut la nationalité française et tout en restant inexorablement russe dans son âme, devint citoyen français.
Il prit le poste de psaltiste dans l’église N.D. des Affligés, rue de la Tour à Paris, dont le recteur était le hiéromoine Sylvestre (Владика Сильвестp Ченчански). Le 19 novembre 1944, il épousa Alexandra Bourda et fonda une famille. Ils eurent trois enfants : un fils et deux filles.
En 1945, le père Basile Zenkovsky, président de l’ACER, lui proposa le poste de secrétaire général, Jean accepta.Et là, la nature bouillonnante de celui-ci s’exprima dans toute sa plénitude. Il relança divers cercles d’étude ainsi que les congrès du mouvement. Très rapidement, les congrès ont rassemblé plus de 250 personnes. Jean se chargeait non seulement de tout le travail administratif mais aussi de faire et d’animer des conférences.
En 1948, il fut la cheville ouvrière de l’acquisition par l’ACER aidé de la paroisse de la Présentation de la Vierge au Temple, de la maison du 91 rue Olivier de Serres à Paris qui devint le siège du mouvement et le lieu où toutes les activités de l’ACER se concentrent encore jusqu’à aujourd’hui. Jean relança l’organe de presse de l’ACER, le Vestnik ВЕСТНИК РСКД (Messager de l’ACER) et il en fut le premier rédacteur de la période de l’après-guerre.
À partir des années 1950, entouré d’une solide équipe composée de Cyrille Eltchaninoff, de Georges Demidov et du père Alexis Kniazeff, il devint le directeur des camps de l’ACER et le resta jusqu’en 1972.
L’été, à Saint Théoffrey (Isère), le camp accueillait pendant un mois et demi non seulement des enfants mais aussi des étudiants. Jean gérait les aspects matériels et financiers du quotidien mais animait aussi la vie culturelle du camp en organisant des discussions, des lectures, des cercles, notamment avec le groupe des étudiants qui en ce temps-là était important. Lui-même lisait à l’auditoire attentif des chapitres des livres d’Alexandre Soljenitsyne, avant même leur parution : « le premier cercle », « le pavillon des cancéreux » « l’archipel du Goulag ». La popularité de Jean auprès de la jeunesse était énorme.
À Paris, l’hiver, Jean sous la direction de W. P. Soubotine créa à l’ACER un groupe théâtral amateur, mais de grande qualité. Chaque printemps, un spectacle était donné dans la grande salle des fêtes d’Issy-les-Moulineaux et ce spectacle était « l’événement théâtral » en langue russe de Paris. Il réunissait chaque année près de 700 spectateurs.
Jean organisait aussi des voyages missionnaires dans les paroisses de province en accompagnant des groupes de jeunes de l’ACER pour y chanter la liturgie qui était suivie de conférences et de discussions avec les paroissiens.
En 1953, Jean fut nommé par le comité international d’YMCA à la tête de la maison d’édition russe YMCA-PRESS à Paris. Le local occupé à cette époque par l’édition et la vente de livres, rue Saint-Didier dans le 16e arrondissement de Paris était exigu et mal placé, aussi Jean en organisa-t-il le déménagement à la rue de la Montagne Sainte-Geneviève dans le 5e arrondissement, au centre même du quartier latin parisien. Les grands auteurs de la littérature russe classique et moderne, des livres sur l’histoire et la civilisation russe, sur la pensée philosophique et la théologie orthodoxe y furent édités. C’est lorsque la maison d’édition commença à éditer en russe les œuvres d’Alexandre Soljenitsyne qu’elle connut immédiatement une réputation mondiale.
Jean prenait également une part active dans les affaires de l’église en France. Dès l’assemblée diocésaine de 1952 il fut régulièrement élu membre du conseil diocésain de l’exarchat des églises orthodoxes russes en Europe occidentale du patriarcat œcuménique, devenu en 1966 un archevêché. À l’Institut de théologie Saint Serge, en 1961, Jean remplaça en tant qu’enseignant de l’histoire de l’église russe le professeur A. Kartachev.
En 1962, le père Basile Zenkovsky, président de l’ACER sentant sa mort prochaine, confia à Jean le mouvement : « Surtout continuez le travail de l’ACER ».
De nature passionnée, Jean se donnait sans compter à ses nombreuses activités et cela ruina sa santé. Sur l’avis de ses médecins, en 1972 il dut réduire son rythme de travail et il mit un terme à toutes ses fonctions au sien de l’ACER : secrétariat général, direction du camp, animation du groupe théâtral. Toutefois, il resta responsable de la maison d’édition, YMCA-PRESS et continua d’enseigner à l’Institut de Théologie Saint Serge.
Enfin, en avril 1978 du fait d’une situation extrêmement complexe dans la maison d’édition YMCA-PRESS il donna sa démission à l’âge de 59 ans.
Le 6 novembre 1978, Jean Morozov décéda tragiquement. Par sa vie pleine de bonté, d’honnêteté, de foi profonde et de dévouement à la cause de l’ACER Jean a incarné l’idéal que l’ACER propose à ses membres, « l’ecclésialisation de leur vie », c’est-à-dire de vivre de façon créatrice à la lumière de l’expérience et de l’enseignement de l’Église.
Bibliographie : oeuvres de Jean Morozov
- «Travailler avec la jeunesse à Petchory», BPXД, 1949, 11/12
- «Le camp d'été de l'A.C.E.R.», BPXД, 1951, 4
- «Les tentations rencontrées par la jeunesse à l'étranger», BPXД, 1951, 5
- «Voyage au Canada», BPXД, 1953, 30
- «Assemblée pan-orthodoxe des délégués des Églises orthodoxes autocéphales et autonomes sur l'île de Rhodes», BPXД, 1961,62/63
- «Les missions du Mouvement», BPXД, 4,1964, 72/73
- «L'activité des centres orthodoxes en Amérique», BPXД, 1964,72/73
- «ln memoriam,L.A. Zander», BPXД, 1964/1965, 75/76
- «ln memoriam,p. Victor Youriev», BPXД, 1966, 81
- «Voyage missionnaire à Montargis», BPXД, 1966, 82
- «L'adresse de Svetlana Allilouïev à B.L. Pasternak», BPXД, 1967, 84
- «Alexandre Soljenitsyne», BPXД, 1967, 84
- «Père Basile - un ami de jeunesse», in in memoriam p. Basile Zenkovski, Париж, PCXД, 1984, p. 22- 30
Textes sur Jean Morozov :
- Protopresbytre Alexandre Kisselev. «Souvenir lumineux de Jean Morozoff», in Новое русское слово, 5 déc. 1978, page 3.
- De la rédaction. «In mémoriam, Jean Morozoff» ; Protopresbytre Georges Bennigsen. «Couronne», in BPCXД, N° 127, 1978, pages 270-273.
- Protopresbytre Alexis Kniazeff, «Jean Morozoff (1919-1978)» (archives privées).